
Apparus au Dévonien, les Coelacanthes se sont maintenus jusqu’à l’époque actuelle avec
le genre Latimeria considéré comme un fossile vivant. Les Coelacanthes ont été représentés
au Crétacé par des formes de grande taille, comme Mawsonia tegarnensis. L’actuel
Latimeria chalumnae Smith est connu surtout des Comores, un groupe d’îles qui se trouve
au nord-ouest de Madagascar.
[ Note de l’auteur : Cet article écrit en 1992 ne fait pas encore référence aux nouveaux points
de répartition, notamment au large de Sulawesi en Indonésie,
cf.
http://perso.wanadoo.fr/cryptozoo/actualit/1998/coelindo.htm ]
La découverte du Coelacanthe en 1938 fit l’effet d’une bombe dans les milieux
scientifiques. Le professeur J.L.B. Smith, ichtyologiste de l’Université Rhodes de
Grahamstown en Afrique du Sud, qui avait déjà décrit et nommé plus de cent espèces de
Poissons, aurait eu la réflexion suivante en examinant pour la première fois le Coelacanthe
vivant : << J’aurais croisé un Dinosaure en pleine rue que je n’aurais guère été plus saisi >>.
On pensait en effet que les Coelacanthes avaient disparu, voici environ 60 millions
d’années, en même temps que les Dinosaures.
Le professeur Smith donna à ce poisson le nom générique Latimeria en l’honneur de Miss
M. Courtenay Latimer, conservateur du musée de la ville d’East London, en Afrique du Sud,
qui eut l’heureuse initiative de naturaliser le poisson capturé par un chalutier local ; le nom
spécifique chalumnae fut donné, quant à lui, pour commémorer le lieu de la capture,
l’embouchure du fleuve Chalumna ( près d’East London ).
Avec un autre sous-ordre, celui des Rhipidistia, les Coelacanthini
( ou Actinistia ) forment l’ordre des Crossoptérygiens, ou Poissons à nageoires lobées.
On les rassemble avec les Dipneustes ( ou Poissons pulmonés ) et les Tétrapodes ( ou
Vertébrés à pattes ) dans le vaste groupe des Sarcoptérygiens.
Les Rhipidistia ( du Dévonien inférieur jusqu’au Permien inférieur )
se décomposent pour leur part en Ostéolépiformes, Porolépiformes et Onychodontiformes.
C’est chez les Rhipidisia que l’on pense trouver les ancêtres des Tétrapodes.
D’une manière générale, les Crossoptérygiens paraissent représenter les maillons de
transition entre les Poissons stricto sensu et les Amphibiens, partis à la conquête de la terre
ferme, voici près de 400 millions d’années.
Pour la plupart des auteurs, ces poissons aux nageoires lobées auraient rempli toutes les
conditions requises pour passer "avec succès" à un mode de vie terrestre. Ils ont en effet
possédé un poumon, des narines internes ( choanes ) permettant à l’air inspiré de passer du
nez à la gorge, des nageoires paires articulées, etc...
A l’inverse, on ne s’est apparemment guère posé la question si ces vertébrés aquatiques
auraient pu se développer à partir de formes terrestres, venues poursuivre leur évolution en
milieu aquatique...
C’est l’hypothèse discutée dans le présent article, à partir d’observations faites sur le
Coelacanthe actuel, Latimeria chalumnae.
Il y a quelque temps de cela, ce curieux poisson, qu’on considère généralement comme "le
descendant d’une branche collatérale des ancêtres de l’homme"... préfigurant le Vertébré
terrestre, a été filmé dans son milieu naturel ( 1 ) , au large d’une île de l’archipel des
Comores.
Sur les photos tirées de ce film, on constate aisément que la nage de ce poisson est
remarquablement proche du trot des quadrupèdes...
En effet, le Coelacante "nage comme un cheval trotte" : les nageoires avancent par
paires croisées ( = la pectorale gauche avec la pelvienne droite, la pectorale droite avec la
pelvienne gauche, et ainsi de suite... ), alors que chez les autres poissons, ces nageoires
fonctionnent et agissent surtout comme des stabilisateurs, destinés à maintenir l’animal dans
le plan horizontal, pendant que la queue godille le corps vers l’avant.
Nous pouvons tout de suite noter, avant d’en venir un peu plus loin à l’étude des structures
osseuses de ces nageoires, qu’une telle façon de nager témoigne chez le Coelacanthe ( et
cela va dans le sens de notre démonstration ! ) d’une remarquable coordination
neuro-musculaire. En liaison avec la petitesse constatée du cerveau au fond d’une vaste cavité
remplie de graisse, on peut supposer que le caractère n’est pas acquis, mais que cette
faculté locomotrice singulière est héritée d’ancêtres tétrapodes qui furent des marcheurs
terrestres !
GENERALITES
Les caractéristiques anatomiques communes partagées par le Coelacanthe et les
Vertébrés tétrapodes sont :
- les membres articulés
- les dents enduites d’émail
- le poumon
- l’oreille interne.
Les nageoires paires de Latimeria chalumnae sont portées par des lobes musclés et
écailleux. Cette disposition peut représenter le stade ’transitoire’ entre un membre de
quadrupède et une nageoire habituelle de poisson. Nous reviendrons sur ce point, ainsi que
sur la structure osseuse.
Le poumon résiduel, empli de graisse, n’est plus fonctionnel - et il ne s’est pas non plus
transformé en vessie natatoire hydrostatique. Comme chez les autres poissons, ce sont
maintenant des branchies qui assurent la respiration. A noter aussi la morphologie très
simplifiée du cœur, qui est entièrement linéaire... Cela a de quoi surprendre si l’on pense, en
accord avec les thèses classiques, que le Coelacanthe est proche des formes << qui ont
mené aux Vertébrés tétrapodes >>.
Il existe aussi de nombreuses analogies entre Requin et Coelacanthe : au niveau des
glandes hormonales, du système permettant la compensation de la pression osmotique de
l’eau de mer, et pour ce qui est du métabolisme de l’azote.
En effet, et cela a de quoi surprendre, malgré le rang systématique qui leur est dévolu, les
Requins présentent beaucoup de caractères qui les rapprocheraient des Vertébrés
tétrapodes ( dont ils sont peut-être issus ). Leur adaptation au milieu marin ou dulçaquicole se
serait alors faite d’une manière parallèle à ce que l’on peut observer chez les
Crossoptérygiens et chez d’autres groupes de poissons ( Dipneustes, Polyptères... ).
On sait maintenant que Latimeria chalumnae est ovo-vivipare. Les œufs, de la grosseur
d’une orange, éclosent dans le ventre de la femelle, laquelle met ensuite bas à des petits
tout formés, à la manière de certains requins et de la plupart des tétrapodes.
Chez le Coelacanthe, comme chez les autres Poissons, l’oreille interne est devenue
essentiellement un organe d’équilibration, le sens auditif se maintenant néanmoins, de façon
plus ou moins développée selon les lignées. Le canal s’ouvrant sur la tête vers l’extérieur
disparaît pendant l’adaptation au milieu liquide.
Coelacanthe signifie "à colonne vertébrale creuse". En effet, le squelette
axial ( fait unique
chez les Vertébrés actuels ) se compose d’un long tube élastique en tissu fibreux
( "notocorde" ), les vertèbres étant réduites à de petites pièces cartilagineuses. D’une façon
générale, on peut considérer que le squelette est régressé par rapport aux Crossoptérygiens
fossiles... Le Coelacanthe s’est adapté de plus en plus aux conditions d’une vie en milieu
marin ouvert, tout en s’éloignant [ dans le temps ] du prototype de base, vraisemblablement
terrestre.
Le membre, pectoral ou pelvien, demeure un ensemble de 4 pièces articulées, à l’extrémité
duquel s’articulent des modules cartilagineux supportant les rayons de la membrane
natatoire. On peut faire dériver cette structure de la patte antérieure ou postérieure d’un
tétrapode terrestre ou amphibie.
L’ ORIGINE DES NAGEOIRES PAIRES
Classiquement, 2 conceptions s’opposent :
- celle de l’origine branchiale des nageoires paires, et
- celle de leur formation à partir d’un repli latéral du corps.
Dans la première hypothèse, le type primitif de nageoire serait celui "à base étroite" des
Dipneustes ( poissons pulmonés ), qu’on nomme également "archiptérygium bisérié".
Cela implique une structure primitivement monosegmentaire, ce qui ne paraît pas le cas.
Au contraire, l’embryologie montre un champ morphogénétique continu en position ventro-
latérale, sur la région troncale de tout vertébré étudié en ce sens.
La seconde hypothèse postule que les membres pairs sont issus d’un repli natatoire qui se
trouvait à l’origine de part et d’autre des flancs du pré-vertébré ancestral. La partie moyenne
du repli disparaissant, la partie antérieure aurait formé la ceinture et la nageoire pectorales,
la partie postérieure la ceinture et la nageoire pelviennes.
Dans cette hypothèse-là, tous les types de nageoires chez les Poissons,
- à structure bisériée [ Dipneustes ],
- à structure dichotomique [ Coelacanthe ],
- à structure unisériée [ Squales ],
- à structure polybasale [ la plupart des Poissons ],
dériveraient d’une ébauche primitive "à base large".
La conception personnelle de l’auteur rejoint ce dernier point de vue, tout en stipulant que
le repli natatoire originel s’est différencié d’emblée en membres pairs, munis à leur extrémité
de palettes natatoires, représentant le chiridium primitif [ en forme de main palmée à 5
ou 6 doigts ].
La partie antérieure du repli natatoire originel aurait ainsi formé la ceinture scapulaire et les
os du chiridium antérieur [ devenu, chez l’homme, le bras et la main ]. La partie postérieure du
même repli natatoire aurait donné directement naissance à la ceinture pelvienne et aux os
du chiridium postérieur [ jambe et pied ].
Selon ce point de vue, le chiridium caractérisant les tétrapodes terrestres et leurs ancêtres
aquatiques de type homonculien, serait aussi à l’origine du ptérygium des Poissons. Dans
mon hypothèse, l’homoncule primitif possédait 2 paires de palettes natatoires, dont la
constitution osseuse est celle que l’on retrouve inchangée dans les membres de l’être
humain ( 2 ).
LE RETOUR A LA VIE AQUATIQUE
Chez les Mammifères marins, les extrémités se sont retransformées en nageoires. Elles
montrent des modifications dont la nature et l’importance varient en fonction du groupe
considéré. Chez les Phoques, les membres antérieurs se sont mués en larges rames, mais
des griffes ont subsisté, qui leur permettent de se hisser sur la berge. Ce n’est plus le cas
des Siréniens, ni des Cétacés, qui ont acquis un corps pisciforme ; chez eux, les extrémités
antérieures forment une nageoire fonctionnelle à pointe effilée. De leurs membres
postérieurs ne subsistent plus que d’infimes vestiges enfouis sous la peau.
Une telle adaptation à la nage et au milieu aquatique se retrouve chez des Reptiles, les
Ichtyosaures de l’ère Secondaire, par exemple.
Les transformations de membres en nageoires, chez des animaux originellement
terrestres, peuvent se réaliser par des modalités bien différentes, selon les lignées
concernées.
Chez les Crossoptérygiens, comme chez les Cétacés ou les Ichtyosaures, la structure
primitive de l’extrémité du tétrapode est encore aisément reconnaissable. Eusthenopteron,
du Dévonien, présente même toujours la pentadactylie originelle.
Durant l’évolution type d’un Poisson, les ossicules du chéridium viennent à disparaître
complètement. Dans ce cas, les rayons soutenant la membrane natatoire s’articulent
directement sur la ceinture pectorale ou pelvienne, les rattachant au corps.
CONCLUSION
Le Coelacanthe contemporain présente des caractères anatomiques qui font penser à une
origine terrestre de sa lignée, à partir de vertébrés tétrapodes.
Des recherches sur la quantité d’acide nucléique présente dans les érythrocytes ( 3 ) vont
dans ce sens. Le taux découvert est supérieur à celui qu’on s’attendrait normalement à
trouver chez le représentant d’un groupe dont les formes anciennes ont évolué ( ? ) vers les
vertébrés terrestres. Cela témoigne bien de la spécialisation de tout le groupe.
Les Crossoptérygiens ne seraient pas les ancêtres des tétrapodes, mais dériveraient a
contrario de ces derniers, vraisemblablement des Amphibiens de la période dévonienne.
On peut élargir cette base de raisonnement et l’appliquer à tous les Poissons... Ceux-ci
procéderaient donc de lignées diverses de tétrapodes, retournées vivre dans l’eau à
différents moments. Les 4 membres se transforment progressivement en nageoires paires,
le poumon en vessie natatoire [ quand il ne disparaît pas complètement ], tandis que des
branchies nouvellement formées assument désormais la fonction respiratoire.
Des travaux prochains, en histologie, en physiologie ou en embryologie, viendront sans
doute compléter ce point de vue. Il serait bon, en tout cas, de se dégager d’une image
traditionnellement figée en matière d’histoire évolutive des divers groupes de Poissons.